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Saint-Maurice
de
Neuville-les-Dames

Extraits du Journal de l’Ain 1889



Dernière mise à jour
le 30/11/2023

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BIBLIOGRAPHIE

Histoire des prieures de l’ancien chapitre noble de NeuviIle-les-Dames, par Albert Bouchet, ancien conseiller général de l’Ain ; Bourg, chez Gonin et chez Montbarbon, libraires ; beau vol. de 332 pages ; 1889 ; prix : 3 fr. 50.

De nombreuses institutions monastiques florissaient jadis dans notre département. La grande Révolution les a toutes emportées, mais plusieurs ont déjà reparu, comme des plantes qui conviennent si bien au sol qu’elles repoussent d’elles-mêmes et qu’on ne peut les arracher que pour un temps.

Seules les institutions de chanoinesses n’ont repris racine ni chez nous ni ailleurs. C’est que leur existence tenait à un double courant de sève : la sève religieuse et la sève aristocratique.

La première est inépuisable ; mais la seconde a été desséchée dans ses sources par le vent d’égalité qui souffle depuis cent ans et qui soufflera longtemps encore.

Ces institutions appartiennent donc bien à l’histoire : elles ne peuvent plus revivre que dans les livres, et c’est bien le moment de les y ressusciter, avant que tout ait disparu d’elles, jusqu’à leur souvenir.

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Sur les confins de la Bresse et de la Dombes, à égale distance de Bourg et des bords de la Saône, s’élève le joli bourg de Neuville-les-Dames, assis en amphithéâtre sur une gracieuse colline au pied de laquelle coule le Renom.

Le nom même de Neuville indique une origine récente. Fut-ce une simple reconstruction comme celle de Neuville-l’Archevêque (au bord de la Saône, entre Trévoux et Lyon) qui existait déjà sous le nom de Vimy (Vimiacum) lorsque l’archevêque Camille de Villeroy la mit tout à neuf ? Impossible de le savoir. Nova-villa ou Neuve-Ville atteste que l’agglomération ne s’est pas formée insensiblement, qu’il fut un temps où les contemporains la virent apparaître en quelque sorte subitement et la déclarèrent neuve. Mais à quelle époque fixer ce temps ?

Tout est relatif : Bourg et presque toutes les villes possèdent des « Rue neuve » dont l’origine se perd dans le vague du passé. À Paris il existe un pont qui est peut-être le plus vieux de la Cité, et qui cependant s’appelle le Pont-neuf.

Ce qui paraît certain, c’est que Neuville-les-Dames a eu pour berceau un monastère de religieuses. Une charte de 1009 nous apprend que déjà alors elle était paroisse, que son église était sous le vocable de saint Maurice, que déjà aussi elle dépendait de la célèbre abbaye de St-Oyen-de-Joux (Saint-Claude), enfin que le droit de collation à la cure appartenait aux religieuses.

Cette ville prétendue neuve remonte donc à neuf cents ans au moins. Tout à fait l’histoire du Pont-neuf.

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Novavilla, Novillas Moniales, Villenove, Novilla Monialium, Neufville-des-Nonains, Neufvilles-les-Dames, Neufville-les-Comtesses, quelle que soit l’appellation que l’on préfère, était plus vivante, plus célèbre et plus fréquentée que la Neuville-sur-Renom du style administratif actuel.

De nobles châtelaines, des filles des meilleures familles de la Bourgogne, de la France entière et même de l’étranger, telles que les demoiselles de Saxe, filles du prince royal de Pologne, admises en 1782, ne dédaignaient pas alors d’y venir chercher, sous l’habit de chanoinesse, le calme et la tranquillité. Les murs de la petite église et du monastère retentissaient de chants pieux et encadraient de splendides cérémonies auxquelles présidaient parfois les grands prieurs de Saint-Claude, et plus tard les archevêques de Lyon. C’étaient mesdemoiselles de Dortan, de Vallin, de Foudras, d’Angeville, de Montmor, de Sainte-Colombe, des Garets, de Moyria, de Froissard, de Damas, de Clavières, de Béthune, de la Motte-Fénelon, de Saxe et tant d’autres qui, entourées de leurs familles et en présence des Grands-Prieurs, venaient prendre le voile ou prononcer des vœux. C’étaient encore Mesdames de Montmorel, du Saix, de la Baume, de Langes, de Saint-Mauris, de Marillac, de Charbonnier-Crangeac, etc., que le Chapitre venait de choisir pour Prieures et que les cloches de l’Abbaye, lancées à toute volée, saluaient de leur gai carillon.

L’institution avait un caractère religieux, mais de plus un but social en rapport avec les mœurs du temps ; pour un peu, nous ajouterions : et avec les besoins de tous les temps.

Les filles de grandes maisons, auxquelles leurs goûts ou la médiocrité de leur fortune interdisaient le mariage, trouvaient là une existence pieuse et calme, une société de leur rang. Elles vivaient ensemble, récitaient l’office, s’occupaient d’œuvres de charité et de travaux féminins en rapport avec leur éducation. Elles échappaient ainsi à la dépendance envers leurs proches, aussi bien qu’à l’isolement, à ses ennuis et à ses dangers, et souvent elles dirigeaient de loin leurs nièces et neveux, continuant ainsi à leur famille une protection délicate et exerçant une bienfaisante influence dans le monde qu’elles avaient quitté.

Quitté est-il bien le terme propre ? Elles y conservaient toujours un pied, car la règle n’avait rien d’austère et la clôture était surtout une clôture morale.

Elles gardaient du monde à peu près tout ce qu’il avait de calme et d’innocent et ne prenaient du cloître que ce qui était nécessaire pour donner à la vie une direction surnaturelle constante et sauvegarder la vertu. Elles n’étaient distinguées des séculières que par une croix pectorale et une petite bande de mousseline avec une chenille noire attachée à leur coiffure ; un long manteau noir traînant, orné d’hermine, formait leur costume de cérémonie à l’église ; mais chacune d’elles habitait sa maison particulière, où elle était servie par ses domestiques.

Vieillir vieilles filles dans ces conditions, n’était ni sans charmes ni sans honneurs. Peut-on dire que les conditions actuelles soient un progrès, et n’y a-t-il pas quelques motifs de regretter la disparition des chapitres de chanoinesses ? Car on aura beau faire et remanier la société, on peut dire des femmes condamnées à un célibat plus ou moins volontaire ce que le Maître disait des pauvres : « Vous aurez toujours des pauvres parmi vous. »

Malheureusement, nous touchons là au point faible de l’institution, en même temps qu’à sa raison d’être.

Si, parmi les chanoinesses, il s’en trouvait un bon nombre qu’avait attirées le désir de se consacrer à Dieu, et qui formaient la partie sérieuse, solide, et comme le noyau de la communauté, la proportion de celles qui n’avaient cédé qu’à des considérations de famille, c’est-à-dire à la nécessité, était parfois trop considérable.

Vous rappelez-vous les jolies stances de Voltaire, qui, pour le noter en passant, faisait incomparablement mieux les petits vers que les grands ? Il était vieux et écrivait :

Si vous voulez que j’aime encore
Rendez-moi l’âge des Amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.

L’Amitié se présente alors et propose au poète de le consoler de l’Amour parti. Le poète la regarde et la trouve, elle aussi, très capable de plaire :

Charmé de sa beauté nouvelle,
De son air plus calme et plus vrai,
Je la suivis, mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle.

C’était pour d’autres motifs que ceux du poète vieilli, mais presque toujours quelques charmantes célibataires du prieuré de Neuville pleuraient en secret de ne pouvoir suivre que l’Amitié. Alors qu’arrivait-il ? M. Albert Bouchet va nous le dire :

« Sur la fin, les mœurs de l’antique prieuré se relâchèrent peu à peu, grâce aux jeunes nièces que les nobles chanoinesses appelaient auprès d’elles, pour égayer leur solitude et leur donner un jour leur place, il fallait bien amuser la jeunesse et recevoir un peu de monde, et les échos du village étonné retentissaient souvent du bruit de joyeuses chevauchées ou du roulement des carrosses. C’était la noblesse du voisinage qui venait visiter les nobles recluses et organiser des soirées qui se prolongeaient parfois très avant dans la nuit, et dans lesquelles les jeunes nièces ne craignaient pas de paraître en des costumes des plus mondains.

« Les grands prieurs de Saint-Claude se fâchaient alors et parlaient de péchés mortels ; les nobles Dames, toutes confites, écoutaient avec respect leurs remontrances et promettaient de s’y conformer ; mais à peine étaient-ils rentrés dans leur lointaine abbaye, qu’elles trouvaient leurs supérieurs bien sévères ; ils traitaient de péchés mortels des péchés bien mignons, et les abus recommençaient. Ne fallait-il pas amuser la jeunesse et s’amuser aussi un peu ? »

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C’est ainsi qu’il n’est rien de parfait ici-bas et que les institutions les meilleures pêchent toujours par quelques côtés.

Un décret du 10 décembre 1790 prononça la dissolution du célèbre prieuré.

Aujourd’hui, il a presque entièrement disparu. Le féroce Albitte, qui, en si peu de temps, trouva le moyen d’accumuler tant de ruines dans notre département, fit vendre l’église capitulaire, adjacente à l’église paroissiale, et abattre l’enceinte à laquelle on accédait par deux portes opposées, qui s’ouvraient chaque jour au lever du soleil et se fermaient à onze heures au plus tard. Les acquéreurs se hâtèrent de démolir, afin de bénéficier sur les matériaux qui, à cette époque, avaient une assez grande valeur à cause de la difficulté des transports. Les stalles de la chapelle, fort remarquables, et le maître-autel, en marbre, échappèrent seuls au vandalisme républicain. Les premières se voient encore dans l’église paroissiale de Neuville, et le second dans l’église de Mézériat, où il fut transporté.

La Révolution n’épargna pas non plus les maisons des Dames chanoinesses, qui toutes prenaient leur entrée sur la place intérieure de l’enceinte (aujourd’hui le champ de foire). Des jardins ont remplacé la plupart de ces maisons. Parmi celles qui sont restées debout, deux seulement ont conservé leur ancien caractère. Les sœurs de Saint-Joseph de Bourg les ont acquises pour y établir une école de filles (1831), un hospice (1840) et une salle d’asile (1865). Le nouveau couvent, ombre de l’ancien, n’en garde donc pas les abus ; il est tout entier consacré à la charité et à l’éducation populaire. Sera-t-il plus respecté pour cela de l’esprit républicain et vivra-t-il aussi longtemps que l’ancien ? Huit cents ans, c’est peu probable. Ce n’est pas aux abus des institutions religieuses que les révolutionnaires en veulent ; si même elles n’avaient que des abus, ils les respecteraient, parce qu’alors elles déconsidéreraient le « cléricalisme, l’ennemi ! »

En résumé, l’Histoire des Prieures de Neuville est une des meilleures monographies qui aient été écrites sur nos antiquités. M. Albert Bouchet intéressera non seulement les amis de nos anciennes gloires nationales, mais un très grand nombre de familles qui retrouveront dans ce livre les plus beaux noms de France et une foule de tantes, injustement oubliées aujourd’hui, qui furent jadis l’édification et l’honneur de leurs proches.

Nous prédisons à M. Bouchet non un succès vaste à la Zola, mais un de ces succès limités, sérieux et durables qui suffisent à la gloire des chercheurs, mais qui ne sont assurés que pour ceux qui, comme lui, ajoutent à la patience de l’érudit la justesse de coup d’œil de l’historien et la sobriété, la clarté, l’élégance de style du véritable écrivain.

J.-M. VlLLEFRANCHE.

Réponse de l’abbé Carrel

À PROPOS DE NEUVILLE-LES-DAMES

Neuville-les-Dames, le 3 août 1889.

Mon cher Monsieur Villefranche,

Votre numéro du 2 m’a apporté une bonne nouvelle, c’est la publication d’un livre sur le Chapitre de Neuville-les-Dames, par M. Albert Bouchet. Le compte-rendu que vous en donnez me prouve que l’ouvrage est bien fait. Il me tarde donc d’en prendre connaissance ; car qui peut-il intéresser davantage que le curé de la paroisse où a existé cette célèbre institution, et qui en possède encore de si beaux restes ?

Je connaissais bien déjà quelque peu l’histoire de ce glorieux passé, soit par ce que j’ai entendu dire ici, soit surtout par la lecture d’une courte notice, écrite par un de mes prédécesseurs, M. l’abbé Gourmand. Mais la brochure de M. Gourmand, très intéressante d’ailleurs, était très incomplète, parce qu’il n’avait pu avoir en main beaucoup de documents, que M. Albert Bouchet a été plus heureux de découvrir. Cette histoire qui était à faire est donc faite et je me réjouis de la savoir bien faite.

Cependant, me permettriez-vous quelques observations, au sujet de votre compte-rendu : je n’ai pas encore lu l’ouvrage de M. Bouchet.

Neuville-les-Dames est bien le nom officiel de la commune de Neuville, et le timbre du bureau de poste qui y existe ne porte pas un autre nom. Il est bien vrai qu’à la fin du dernier siècle, et au commencement de celui-ci, l’horreur de tout ce qui pouvait rappeler l’ancienne dénomination, par trop cléricale, comme on dirait aujourd’hui, avait porté la Révolution à appeler la commune Neuville-sur-Renom. Mais maintenant, on ne rencontre plus guère ce nom nouveau que dans les bureaux de la sous-préfecture de Trévoux.

Quelle est l’origine de Neuville ? Le nom, comme vous le dites, indique une date récente, Neuville, ville neuve. Neuville en effet, à la place qu’il occupe aujourd’hui, est bien une ville neuve, par rapport à une autre qui a existé sur la rive opposée du Renom. Or, si le Neuville que nous voyons, a un passé historique déjà bien lointain, puisqu’une charte de 1009 nous apprend qu’alors il était déjà paroisse, avec une église sous le vocable de saint Maurice ; l’ancienne ville, de l’autre côté du Renom, doit remonter bien plus avant. Et, sommes-nous, pour constater l’existence de cette première ville, abandonnés absolument à des conjectures plus ou moins fondées ?

Non, il y a les traditions locales et des monuments qui nous en parlent. Sans doute, nous ne connaissons pas la date précise de sa fondation. Mais, ce que nous savons, c’est que des moines venus de la célèbre abbaye de Condat, établirent sur les bords du Renom, un monastère, autour duquel vinrent se fixer quelques déshérités de ce monde, attirés par la charité des moines ; que cette fondation date au plus tard du VIIIe siècle. Ce que nous savons c’est que l’église était sous le vocable de saint Jacques. La preuve en est dans la célébration de la fête patronale, aujourd’hui uniquement fête civile, toujours au commencement de mai, fête de saint Jacques, parce que, dit-on, saint Jacques était le patron de la paroisse. De plus, ceux qui conservent bien les traditions du pays quand ils désignent certains endroits de l’autre côté du Renom, disent encore : « Nous allons à Saint-Jacques. »

Comment disparurent le monastère et la ville qui l’entourait ? Dans son histoire hagiologique, Mgr Dépery rapporte que les reliques de saint Trivier, conservées au monastère, furent détruites dans un vaste incendie qui consuma absolument toutes les habitations. Ce fait, comme le remarque M. Gourmand, est appuyé sur la croyance unanime des habitants, et confirmé par les débris d’anciennes maisons que l’on trouve, lorsque l’on fouille à une certaine profondeur dans le sol.

Après un si effroyable malheur, la ville fut reconstruite, mais sur la rive droite du Renom, à l’emplacement qu’elle occupe aujourd’hui. Et elle fut vraiment alors une ville neuve, Neuville.

Le feu a détruit la première ville. La Révolution a, autant qu’elle a pu, enlevé à la seconde ce qui faisait sa gloire et son honneur. La chapelle des chanoinesses a été rasée, ainsi que deux ou trois des plus belles maisons de ces dames. Mais la plupart sont encore debout, et, malgré l’usure du temps et l’incurie des hommes, presque toutes laissent voir de nombreux vestiges des grandeurs passées. Quelques-unes seulement, appartenant à des propriétaires aisés, ont été restaurées à grands frais, et sont de magnifiques habitations.

Nous n’avons plus à Neuville, de la chapelle des chanoinesses, que les stalles, qui sont en effet remarquables. Aussi, voulons-nous les conserver, comme souvenirs. La vieille église paroissiale, qui menace ruine et est d’ailleurs insuffisante pour la population, va faire place à une autre plus vaste et plus belle. Ce n’est que forcés par la nécessité que nous faisons disparaître ce vénérable monument, témoin de la foi de nos pères, et je comprends les regrets des anciens. Mais, que faire devant une nécessité ? Nous aurons au moins, dans la nouvelle église, pour rappeler le passé, et réveiller en nous la piété d’autrefois, ces stalles où ont prié, pendant tant de siècles, les chanoinesses de Neuville.

Vous ferez ce que vous jugerez bon de ce factum, écrit à la hâte, après la lecture du Journal. Je le crois exact, néanmoins.

Agréer, etc. P. CARREL, curé.

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